top of page

ALM BANCAIRE : PLAIDOYER POUR LE STOCHASTIQUE



Thèmes: Options comportementales / Valeur temps / Valorisation déterministe / Valorisation stochastique.


C’était à Muroc, faubourg de Los Angeles, dans le désert de Mojave. Un ingénieur aéronautique nommé Edward A. Murphy prononça en 1948 une phrase qui accéda immédiatement à la postérité sous le nom de loi de Murphy : « Tout ce qui est susceptible de tourner mal tournera mal ».


L’actualité récente est riche en exemples à l’actif comme au passif ; les remboursements anticipés (RA) et renégociations sur les prêts immobiliers à taux fixe, de vieilles générations de PEL/CEL à taux d’intérêts contractuels très supérieurs aux taux actuels.



L’asymétrie des options comportementales


Les options comportementales sont, comme leur nom l’indique, des options, c’est-à-dire des droits unilatéraux accordés à une des parties d’un contrat.


Dans le cas des prêts immobiliers à taux fixes, le droit pour les emprunteurs de rembourser tout ou partie de leur emprunt par anticipation constitue une option ; la faiblesse des indemnités exigibles par la banque (en vertu de la loi Scrivener) ne suffit pas à compenser les pertes alors occasionnées au prêteur. Dans le cas du PEL, la possibilité accordée au déposant d’abonder son plan lorsque les taux de substitutions sont très bas constitue aussi une option.


Ces droits s’avèrent particulièrement asymétriques puisque si l’emprunteur (resp. l’épargnant) peut écourter (resp. prolonger) son contrat à son avantage, la banque, elle, ne peut pas modifier les termes du contrat : l’emprunteur (resp. l’épargnant) dispose donc d’un droit unilatéral de maintenir ou d’ajuster – sans contrepartie, ou si peu – les termes du contrat à son avantage.


« Tout ce qui est susceptible de tourner mal tournera mal »

Dès lors que ces options sont exercées rationnellement par les détenteurs – remboursements anticipés conjoncturels ou abondements opportunistes du PEL – la banque est exposée à un risque de perte. La valorisation des options comportementales permet de quantifier ce risque.



Splendeurs et misères de la valorisation du risque de RA


Dans le cas particulier des prêts immobiliers à taux fixe, la valorisation de l’option consiste à mesurer le risque de perte en cas de remboursement anticipé consécutif à un mouvement défavorable des taux d’intérêts.


Les deux méthodes prédominantes sont les valorisations forfaitaire et déterministe :


- La méthode de valorisation forfaitaire (MVF) est un héritage des marchés secondaires de prêts immobiliers ; cette méthode consiste à valoriser les prêts de manière déterministe mais avec un taux forfaitaire de remboursements anticipés : le CPR (Conditional Prepayment Rate) qui caractérise le rythme constant de remboursement anticipé. Cette méthode a une apparence : un levier unique qui permet de piloter la valeur de l’actif et son écoulement ; elle a une réalité : elle se borne à dresser un état des lieux sans permettre d’anticiper sur l’avenir. Cette valorisation présente une utilité limitée et expéditive mais elle ne dit rien de l’évolution du CPR dans le temps.


- La méthode de valorisation déterministe (MVD) est le fruit d’une démarche plus aboutie qui consiste à bâtir un modèle de RA, c’est-à-dire un schéma de réaction des emprunteurs aux taux de marché, puis une trajectoire de RA futurs basés sur ce modèle et sur la courbe des taux forwards. Ainsi, la déformation de l’actif en cas de choc de taux est bien plus réaliste : peu de RA quand les taux montent, beaucoup de RA quand les taux baissent, le Risque de Taux d’Intérêt Global (RTIG) reflète mieux la réalité que dans le cas du CPR. En termes financiers, cette méthode consiste à évaluer la partie intrinsèque de l’optionnalité cédée à l’emprunteur. Lui manque donc une part significative : la valeur-temps.



Plaidoyer pour la valorisation stochastique

Le principal tort de la méthode déterministe est qu’elle manque cruellement d’imagination : lorsque les taux sont élevés et la courbe pentue, les forwards croissants proposent un monde dans lequel il n’y a pas de remboursements anticipés conjoncturels ; lorsque les taux sont bas et la courbe plate ou inversée, les forwards quasi-constants ou décroissants anticipent des remboursements anticipés massifs qui font « saturer » le modèle de RA.


La valeur-temps, c’est le prix de l’incertitude

Ce qu’apporte la méthode de valorisation stochastique (MVS), c’est la valeur-temps, la grande absente de la MVD, qui n’est autre que le prix de l’incertitude. Là où la valeur intrinsèque caractérise ce qui se passerait dans le scénario central, la valeur-temps prend en compte de manière probabilisée tous les scénarios futurs ; elle tient compte de l’incertitude. Ainsi, lorsque les taux sont élevés et la courbe pentue, la MVS entretient parmi les scenarios possibles, ceux qui entraînent une baisse des taux et donc une hausse des remboursements conjoncturels ; de même, lorsque les taux sont bas et la courbe plate, la MVS conserve parmi les possibilités la hausse des taux et donc une baisse à terme des remboursements conjoncturels.


Lorsque l’incertitude est prise en compte, la VAN des prêts immobiliers à taux fixe est plus stable et présente moins de risque à la baisse des taux.








Si la méthode de valorisation stochastique présente des inconvénients – du fait de la valeur-temps, l’option cédée est renchérie, la valeur du prêt au bilan est donc diminuée d’autant – elle offre l’insigne avantage de réduire la concavité du bilan et donc de réduire le RTIG.


Le corollaire le plus important de cette propriété est que le risque, déjà mécaniquement atténué par la nouvelle mesure, peut désormais être vaincu par des moyens supérieurs : le recours à des options standards (floors CMS, swaptions receveuses européennes ou bermudéennes) soigneusement calibrées pour compenser exactement l’asymétrie des options comportements.



Conclusion


Les options comportementales sont structurellement asymétriques et porteuses de risques pour les banques : dans le cas des PITF, c’est lorsque les taux baissent que les actifs à plus haut rendement se volatilisent ; dans le cas des PEL/CEL, c’est lorsque les taux baissent que les passifs les plus chers cessent de s’écouler.


Dans le risque, tel que mesuré par les méthodes forfaitaire et déterministe, il manque l’essentiel : l’incertitude

Cette incertitude ne peut être quantifiée que par une valorisation stochastique. L’adoption de la MVS permet de mieux mesurer l’exposition aux chocs de taux, et montre que cette exposition est moins extrême que ne l’estiment les autres méthodes. Elle établit une valorisation market-consistent du risque comportemental et s’accommode parfaitement d’une couverture avec des instruments standards de marché.


Enfin, en réduisant l’impact des gros chocs de marchés, elle autorise les banques qui y ont recours à intensifier leur position de transformation à fonds propres constants, ou à augmenter la taille de leur stock d’actifs et de passifs incorporant des options comportementales sans buter sur les limites de risque réglementaire.


Spécialiste des marchés financiers, ESTER est à vos côtés pour approfondir ce sujet avec vous.

14 vues
bottom of page