
L’Eonia et l’Euribor, taux de référence phares des marchés financiers de la zone Euro, interviennent dans la valorisation de presque tous les contrats de dérivés libellés en euro, soit un marché de plus de 100 000 milliards d’euros (1), et l’Euribor est le type de taux variable le plus répandu de tous les prêts à taux variable de la zone euro.
Pourtant, leur survie est en jeu.
Deux raisons principales expliquent cette situation :
- Les flux d’opérations sur le marché monétaire de la zone euro ont été affectés par la crise financière de 2008 et par la crise de liquidité de 2011. C’est désormais la BCE qui est au centre du marché monétaire au détriment des échanges interbancaires au jour le jour. Simultanément, il y a eu une forte augmentation des volumes de repo interbancaire mais ils sont exclus du calcul de l’Eonia.
- Le scandale du Libor et les lourdes amendes infligées à plusieurs banques pour cause de manipulation ont contribué à la volonté de certains acteurs à sortir du panel de l’Euribor
Ainsi, le nombre de contributeurs à l’Euribor est passé de 49 en janvier 2007 à seulement 20 fin 2017 après la décision remarquée de la banque JP Morgan de se retirer du panel en septembre 2017. L’EMMI (2) a tiré la sonnette d’alarme sur la raréfaction du nombre de contributeurs, elle estime qu’il faudrait au moins 40 banques pour que l’indice soit hors de danger de disparition.
Parallèlement, les contributeurs à l’Eonia sont passés de 44 en 2013 à 28 fin 2017 et environ 80% des transactions qui forment le taux de l’Eonia sont réalisés par seulement cinq banques. Cette situation est tellement préoccupante que le 29 juin 2017 la Commission Européenne a fait passer le statut de l’Eonia au niveau « critique » : un niveau forçant les banques à continuer à faire partie du panel pendant une durée de deux ans.
En septembre 2017, la BCE, la FSMA, l’ESMA et la Commission Européenne ont publié un communiqué commun annonçant la création d’un groupe de travail (3) pour superviser l’identification et l’adoption d’un taux sans risque (Risk Free Rate ou RFR) pour la zone euro qui puisse servir d’alternative à l’Euribor.
Le même mois, la BCE a annoncé qu’elle allait créer un nouvel index au jour le jour qui puisse coexister avec l’Eonia ou se substituer à l’Eonia. La BCE a annoncé que cet index verrait le jour avant 2020.
Pour que ce nouvel index puisse véritablement remplacer l’Eonia, il sera essentiel qu’un marché des swaps se développe sur cette nouvelle référence, ce qui peut prendre du temps et alimente les craintes d’une période de transition tendue.
Que va-t-il advenir de l’Euribor ?
Il est encore trop tôt pour le dire.
D’après le nouveau règlement Benchmark (4) entré en application le premier janvier 2018, un indice sera utilisable à partir de 2020 s’il remplit un certain nombre de critères (5). Parmi ces critères, il faudra que l’index repose autant que faire se peut sur des transactions réelles. Et s’il n’y a pas suffisamment de transactions, l’index devra reposer sur d’autres données qui pourront être utilisées dès lors qu’elles représenteront le marché de manière fidèle et précise ou encore la réalité économique que le benchmark entend mesurer.
Or la définition de l’Euribor ne se base pas actuellement sur des transactions réelles puisque sa définition fait référence au taux auquel le contributeur estime qu’une banque de premier plan coterait un dépôt de cette maturité à une autre banque de premier plan au sein de la zone Euro. L’Euribor est, comme son nom l’indique, un taux offert (haut de fourchette) et il est basé sur une estimation qui accroit le risque juridique de la banque en cas de contribution atypique.
Des propositions d’adaptation de l’indice ont été formulées par l’EMMI mais il faudra attendre le dernier trimestre 2018 pour savoir si ces propositions sont conformes à la règlementation et satisfont les acteurs de place. Par ailleurs, le nouveau groupe de travail annoncé en septembre 2017 fera aussi des propositions. L’horloge tourne.
Que va-t-il advenir de l’Eonia ?
L’avenir de l’Eonia semble encore plus sombre.
La BCE entend utiliser le MMSR, un outil statistique qu’elle a mis en place en avril 2016 pour analyser la bonne transmission des décisions de sa politique monétaire dans les taux de marché comme une base d’information pour déterminer un taux au jour le jour plus représentatif que l’Eonia.
A partir de cet outil, la BCE entend créer un nouvel index, indépendant de l’Eonia, qui sera placé sous sa responsabilité à l’instar de ce qu’ont fait la Federal Reserve aux Etats Unis, la Bank of England ou la banque Nationale Suisse qui ont d’ores et déjà réformé leur indice au jour le jour.
Le nouvel index devra représenter un volume de transaction beaucoup plus important et ne pas être perturbé par des transactions anecdotiques comme ce fut le cas fin septembre 2017 lorsque des banques grecques exceptionnellement plus actives ont fait grimper le niveau de l’Eonia de 12 points de base d’un jour sur l’autre, un scenario dramatique qui a fini de décrédibiliser la référence et a perturbé le marché des swaps Eonia.
Le fixing de l’Eonia repose aujourd’hui sur des volumes quotidiens compris entre 4 et 8 milliards d’euros alors que la liquidité au jour le jour s’échange pour plus de 250 milliards d’euros quotidiennement. Un gap qu’il faut absolument combler.

Il est assez probable que cette nouvelle référence remplacera rapidement l’Eonia et que la problématique des taux de substitution sera posée. Par ailleurs, comme l’Eonia fixe aujourd’hui assez nettement au-dessus du taux auquel le marché échange effectivement de la liquidité à un jour (6), il est assez probable que le nouvel index sera plus bas en taux que l’Eonia.
Historiquement, c’est également le constat du responsable du trading de taux d’intérêt de la Danske Bank, Eske Traberg Smidt, qui déclarait récemment dans un article du Risk Magazine observer un écart de plus en plus marqué entre le niveau du fixing de l’Eonia (environ – 0.36%) et le taux de -0.47% qui reflétait de manière plus appropriée le niveau auquel le marché traite le cash pour une durée de 1 jour.
Que faut-il faire aujourd’hui pour se prémunir contre les risques liés à l’évolution annoncée de ces index ?
Il faudra être vigilant sur les conséquences de ces changements annoncés dans la valorisation des dérivés en particulier si un nouvel index au jour le jour coexiste pendant un temps avec l’Eonia. Cette situation risque d’introduire de nouvelles complexités dans la valorisation des dérivés, en particulier pour tout ce qui n’est pas compensé centralement.
1. Evaluer le risque :
Il est important dès aujourd’hui de vérifier dans quelle mesure les clauses de substitution des index peuvent avoir un coût financier alors même que l’exposition directe au niveau de l’index est limitée, par exemple parce que les swaps sont adossés ou parce qu’un prêt à taux variable est swappé.
Dans certains cas, l’exposition au changement d’indice reste importante à l’occasion d’une activation des clauses de substitution de taux :
- Parce qu’elles sont rédigées différemment.
- Parce qu’elles sont régies par des droits différents.
- Parce que la substitution n’a pas lieu au même moment.
Et si le portefeuille est directement exposé sur le niveau des index, il faut mesurer le risque et évaluer les options disponibles. Par exemple, est-il préférable dans ce contexte d’avoir une exposition à taux variable sur l’Eonia ou sur l’Euribor ?
2. Si possible, mettre en cohérence les contrats :
Les risques de mauvais adossement peuvent être limités si ces questions sont traitées dès aujourd’hui, par exemple en utilisant des langages similaires pour les remplacements d’indice dans les contrats en back to back.
3. Rester vigilant :
Il faut être vigilant si vous êtes approchés par des contreparties pour effectuer certaines opérations qui modifient la structure de votre portefeuille.
On se souvient en effet de la période 2008/2010 où certaines banques mieux informées que d’autres proposaient activement des remises au marché de dérivés juste avant que le marché des dérivés collatéralisés ne migre d’une actualisation Euribor vers une actualisation Eonia.
ESTER est à vos côtés pour analyser chaque situation et pour déterminer dans chaque cas la stratégie de couverture la plus adaptée.
1 - https://www.bis.org/publ/otc_hy1711.pdf
2 - L’EMMI signifie European Money Market Institute. C’est l’EMMI qui publie officiellement l’Euribor et l’Eonia. C’est une organisation à but non lucratif basée à Bruxelles.
3 - Ce groupe de travail inclut des banques et des acteurs de marché publics et privés partout en Europe. Les travaux de ce groupe de travail viennent de commencer.
4 - https://www.esma.europa.eu/policy-rules/benchmarks
5 - Lorsqu'un indice de référence existant ne satisfait pas aux exigences du présent règlement, mais que la cessation ou la modification de cet indice de référence en vue de le rendre conforme aux exigences du présent règlement entraînerait un cas de force majeure, compromettrait ou enfreindrait de toute autre manière les conditions d'un contrat ou d'un instrument financier, ou les règles d'un fonds d'investissement, faisant référence audit indice de référence, l'utilisation de l'indice de référence est autorisée par l'autorité compétente de l'État membre dans lequel est situé le fournisseur d'indice. Aucun instrument financier, contrat financier ou mesure de la performance d'un fonds d'investissement n'ajoute une référence à un tel indice de référence existant après le 1er janvier 2020
6 - L’euronia fixe actuellement environ 11 points de base en-dessous de l’Eonia.