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DES ENJEUX DE TAILLE LORS DE L'ÉXECUTION DES DÉRIVÉS DE COUVERTURE



Thèmes : Dérivés / Exécution / Régulation


Point d’orgue ou touche finale d’une opération de financement ou d’acquisition, l’exécution des dérivés de couverture est souvent la conclusion d’un long processus de structuration et de négociation.


C’est lors de l’exécution de la transaction que sont fixées, en fonction des conditions du marché, les caractéristiques financières finales du contrat : quel sera le taux d’intérêt pour un swap, quelle sera la prime pour une option, quelle sera la parité de change applicable, etc.


Lorsque la transaction considérée est d’une taille raisonnable par rapport à la liquidité du marché, les conditions de marché sont un paramètre externe de l’exécution. La banque de couverture constate avec son client les taux et les prix du marché, et l’emprunteur se voit appliquer ces taux ou ces prix de marché auxquels s’ajoutent la marge convenue. C’est le cas généralement pour la mise en place d’un swap de taux amortissable sur 20 ans de 100 ou de 200 millions d’euros ou de dollars de nominal, traité pendant les horaires normaux de marché, dont l’exécution n’a généralement pas ou très peu d’impact sur les prix de marché.


A contrario, lorsque la transaction envisagée est d’une taille importante par rapport à la liquidité du marché au moment de l’exécution, le mode d’exécution de la transaction peut influer de manière significative sur les conditions de marché elles-mêmes. C’est le cas par exemple si la ou les banques contreparties choisissent de « pré-couvrir » l’opération dans le marché, c’est-à-dire d’anticiper la couverture réalisée dans le marché, alors même que l’emprunteur n’a pas encore finalisé son opération de couverture.


Décalage du marché avant le topage provocant un surcoût pour l’emprunteur

Lorsque cette pré-couverture est importante ou trop brutale, elle peut générer un décalage du marché avant le topage qui provoque un surcoût pour l’emprunteur. Cela peut par exemple être le cas sur une opération de taux à long terme d’un milliard d’euro ou plus, ou de 500 millions de zloty polonais (PLN) (soit à peine plus de 100 millions d’euros équivalent car le marché des swaps en PLN est moins liquide que le marché des swaps en euro). Ou pour une opération de change de taille importante selon la liquidité du moment dans cette devise sur le marché.


Or, dans les financements de projet ou dans les transactions de M&A, il arrive régulièrement que le mode d’exécution de l’opération de couverture ne soit pas explicitement convenu entre l’emprunteur et ses banques de couverture. Ou qu’il soit convenu sans prendre en compte explicitement les effets de la pré-couverture avec, parfois, des déconvenues pour les emprunteurs sur les conditions finales obtenues sur les couvertures car le marché décale « au mauvais moment ». D’où la nécessité de bien définir avec les banques de couverture la façon dont l’exécution se produira, opération par opération.


Ce sujet ne concerne, bien sûr, pas uniquement les financements de projet ou les financements d’acquisition. C’est un sujet beaucoup plus large qui concerne toute transaction entre un client final et ses contreparties de couverture. Le régulateur européen des marchés financiers, l’ESMA (European Securities and Markets Authority), vient d’ailleurs de publier à ce sujet un certain nombre de recommandations importantes dans un rapport sur les abus de marché[1] datant de septembre 2020.

[1] https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/esma70-156-2391_final_report_-_mar_review.pdf


Bien que provisoires, ces recommandations nous semblent intéressantes pour les emprunteurs et peuvent permettre de guider les discussions avec les contreparties sur le choix des modes d’exécution.


L'exécution d'un dérivé de couverture - coût ou risque ?


Lors de l’exécution de l’opération de couverture, la banque de couverture met en place, quasi simultanément, deux opérations miroir, de sorte à ne pas porter de risque de marché net entre ces deux opérations :

  • Un dérivé face à l’emprunteur

  • Un dérivé en sens inverse face au marché

Une des questions importantes lors de l’exécution est la suivante : le dérivé face au marché est-il mis en place par la banque de couverture


a) Intégralement après le topage des conditions financières avec le client (pas de pré-couverture)


b) Ou pour tout ou partie avant même le topage des conditions financières (pré-couverture totale ou partielle) ?


La calibration de la marge d’exécution dépend du risque d’exécution, lui-même lié à la liquidité du marché

Dans le cas a) le taux de l’emprunteur, ou le prix, est constaté dans le marché au moment du topage et sert à fixer les conditions du dérivé traité avec le client. Ensuite seulement la banque de couverture met en place son propre dérivé de couverture. Dans ce cas, la banque de couverture porte pleinement ce que l’on appelle le risque d’exécution, c’est-à-dire le risque que les taux aient décalé rapidement entre le topage avec le client et la mise en place de la couverture de marché par la banque. C’est pourquoi la banque de couverture demande une marge d’exécution pour couvrir ce risque d’exécution.


Cette tarification du risque d’exécution doit être juste et doit laisser une espérance de gain à la banque pour rémunérer son risque et son service (dès lors que le risque et le service de la banque ne sont pas rémunérés d’une autre façon sur la transaction). La calibration de la marge d’exécution dépend donc du risque d’exécution, lui-même lié à la liquidité du marché.


Ce décalage du marché peut a priori être positif ou négatif. Mais dans le cas d’une transaction de taille importante par rapport à la liquidité du marché sous-jacent, il y a plus de chances que le décalage soit défavorable à la banque. C’est pourquoi le coût d’exécution est généralement plus élevé lorsque la transaction est plus importante et/ou la liquidité du marché plus faible.


Dans le cas b), la banque de couverture pré-couvre une partie de la position future dans le marché avant le topage avec le client. Cela lui donne plus de latitude pour gérer son risque d’exécution. Il subsiste généralement un risque d’exécution avant le topage (si finalement l’opération avec le client n’est pas traitée) et également après le topage, mais a priori moindre car sur une taille résiduelle plus faible.


Plus la banque de couverture a de la visibilité et de la certitude sur l’horaire précis du topage, plus la possibilité de pré-couverture lui permet de limiter son risque d’exécution. C’est pourquoi le fait de pré-couvrir la transaction est souvent mis en avant par les banques de couverture comme un service rendu à leurs clients afin de leur permettre de réaliser des opérations importantes ou dans des marchés illiquides et d’améliorer les prix (ou les marges d’exécution) auxquels leurs clients ont accès[2] pour leurs besoins de couverture.

[2] https://www.ca-cib.com/sites/default/files/2019-10/Pre-hedging%20Policy.pdf ou encore : https://wholesale.banking.societegenerale.com/en/compliance-regulatory-information/general-disclosures/pre-hedging-disclosure/


Pour autant, si le risque d’exécution de la banque de couverture est bien réduit par la pré-couverture, il ne disparait pas totalement. Il est simplement au moins en partie reporté sur le client. Le cas des transactions dans un marché illiquide en est un bon exemple : Si la pré-couverture par la banque fait décaler le marché avant le topage, c’est l’emprunteur qui supporte le surcoût. Et plus le marché est illiquide par rapport à la taille de la transaction, plus ce décalage est potentiellement important.


Ainsi, comme souvent en finance, le choix pour l’emprunteur est celui du bon équilibre entre réduire son coût d’exécution, et maitriser son risque d’exécution. Mais quoi qu’il en soit, l’emprunteur doit s’efforcer de clarifier le mandat donné à sa banque de couverture en cette matière.


Dans les transactions en marché illiquide faisant intervenir plusieurs banques, l’organisation de l’exécution peut être encore plus complexe. La tentation est alors grande de simplifier le sujet en mandatant un « Hedge Coordinator », pour éviter que les contreparties ne se retrouvent au même moment en concurrence dans le marché pour couvrir la même opération. Parfois utile, cette solution ne résout toutefois pas naturellement les problématiques de pré-couverture. Elle peut au contraire, dans certains cas, les amplifier[3]. Le mandat donné au Hedge Coordinator doit donc également définir les autorisations données en matière de pré-couverture.

[3] https://www.esterfinance.com/post/hedge-advisory-faut-il-faire-appel-%C3%A0-un-hedge-coordinator


Que dit l'ESMA dans son rapport de septembre 2020 à propos de la pré-couverture ?


Les premières constatations et recommandations de l’ESMA sur la pratique de la pré-couverture méritent d’ores et déjà la plus grande attention. Ces recommandations complètent utilement les dispositions déjà contenues dans des codes de bonne conduite (notamment sur le marché des changes) ou dans la règlementation MIFID à propos de la meilleure exécution des ordres.


L’ESMA reconnait qu’Il n’est pas possible a priori de déterminer si la pré-couverture est, ou non, une pratique légitime.


La rétrocession au client du bénéfice de la pré-couverture

Elle indique que la matière mérite une analyse détaillée et qu’il faut éviter que des recommandations mal calibrées ne puissent légitimer des pratiques condamnables. Elle annonce donc que de plus amples clarifications sont en préparation et qu’elle se tient à la disposition de la Commission Européenne.


Le régulateur européen indique néanmoins avoir d’ores et déjà identifié plusieurs facteurs à considérer pour déterminer si la pré-couverture est susceptible d’être qualifiée d’abus de marché ou de violation des règles de bonne conduite :


  1. L’existence ou non d’un mandat clair du client demandant explicitement la pré-couverture à la banque

  2. L’information ex-ante et au cas par cas du client sur la mise en place par la banque d’une pré-couverture à laquelle le client a consenti. Il n’est pas suffisant que l’accord du client soit donné de manière générale à l’occasion d’un document contractuel non spécifique à la transaction envisagée.

  3. La rétrocession au client du bénéfice de la pré-couverture

  4. Les mesures prises par la banque pour limiter l’impact de la pré-couverture sur le marché

  5. L’information ex-post du client sur la manière dont la pré-couverture a eu un effet sur l’exécution de la transaction.


Dans cette attente, quelles conclusions opérationnelles faut-il en tirer ?


Les emprunteurs doivent prendre conscience du fait qu’il s’agit d’un sujet sensible dès lors que la transaction envisagée est importante au regard de la liquidité du marché. Il est en effet incohérent de négocier finement la marge de swap ou d’exécution sans se préoccuper de ce sujet.


La gestion inappropriée d’une exécution d’opération par l’intermédiaire de marché peut provoquer à la fois un surcoût financier significatif et des frustrations importantes de l’emprunteur qui voit le prix de son opération décaler en sa défaveur au dernier moment sans comprendre nécessairement si cela était inévitable et s’il traite au meilleur prix.


toute pré-couverture de l’exécution doit résulter d’un choix conscient et avisé du client ESMA

C’est un sujet tout aussi sensible pour la banque de couverture tant du point de vue de la relation commerciale avec son client, du point de vue du risque de réputation que du point de vue de la conformité.


La préconisation de l’ESMA de communiquer clairement sur la volonté des parties est donc tout à fait logique : toute pré-couverture de l’exécution doit résulter d’un choix conscient et avisé du client, partagé avec la ou les banques en charge d’une exécution d’opération sur le marché. L’ESMA insiste par ailleurs sur le fait que ce choix doit être fait opération par opération et non de manière générale.


Il est important également que l’emprunteur puisse mesurer le bénéfice de la pré-couverture en matière de réduction de la marge d’exécution (jusqu’à potentiellement, des marges d’exécutions négatives), bénéfice qui devra être mis en regard du risque d’exécution associé.


Dans de nombreux cas, la pré-couverture de l’exécution est inutile ou dangereuse pour l’emprunteur. Dans ces cas, il est possible de convenir explicitement avec la banque de couverture que l’exécution se fera sans pré-couverture.


Lorsque le client opte spécifiquement pour la pré-couverture, soit parce que la marché est très illiquide et que la banque ne peut pas exécuter sans pré-couverture soit parce que la réduction du coût d’exécution compense et plus encore les effets négatifs de la pré-couverture sur le niveau de marché obtenu lors du topage de la transaction, la pré-couverture devrait s’accompagner d’une transparence contractuelle de la banque ex ante et ex post sur les bénéfices attendus et les bénéfices réalisés grâce à cette pré-couverture.


Quoi qu’il en soit, le consentement des clients et la transparence de la banque (ou de l’intermédiaire de marché) ne résoudront pas toutes les situations.


Apprécier ces situations, comprendre les risques de la banque ou des banques dans les cas où l’exécution d’une opération est partagée entre plusieurs banques, négocier leur juste rémunération, appréhender clairement en quoi la pré-couverture peut être parfaitement justifiée et utile dans certaines situation ou à proscrire dans d’autres situations, quantifier la différence de coût d’exécution avec et sans possibilité de pré-couverture est un exercice complexe qui requiert beaucoup d’expérience de marché et de dialogue.


ESTER est idéalement positionnée en tant que Hedge Advisor pour contribuer à faciliter la mise en œuvre des principes proposés par l’ESMA dans un esprit constructif et de confiance mutuelle entre nos clients et leurs partenaires bancaires, en vue d’assurer le meilleur prix possible à l’emprunteur au moment de l’exécution


ESTER peut, bien sûr, vous accompagner sur ces sujets.

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