Une avancée significative mais un modèle qu’il faudrait faire évoluer rapidement pour mieux maitriser le risque de taux

Thèmes : Financement de Projet / Risque de taux
Depuis plusieurs mois, la hausse des taux longs et la hausse des coûts de construction ont pénalisé bon nombre d’emprunteurs en financements de projets, y compris dans le secteur des ENR, entraînant un taux important d’abandon des projets.
Pour répondre à cette situation, l’Etat a très récemment mis en place un nouveau modèle d’appel d’offres CRE intégrant une indexation des prix de vente de l’électricité à la variation des principaux coûts du projet, y compris les coûts liés aux variations de taux des financements à long terme.
L’intérêt a priori d’une telle indexation sur les taux de financement est d’éviter que l’emprunteur ne soit soumis à un risque d’évolution des taux dès la réponse à l’appel d’offre, alors même qu’il ne sait pas encore s’il va être le lauréat, et qu’il ne peut donc pas se couvrir (sauf avec un produit optionnel onéreux). Le dispositif mis en place est toutefois différent et plus complexe que de celui qui avait été mis en place par le passé sur les PPP ou sur certains projets d’infrastructure impliquant la personne publique.
Ce nouveau format d’appel d’offres n’est pas « optionnel » il s’impose comme une obligation aux soumissionnaires et présente selon nous des zones de risques non négligeables tout du moins sur sa partie relative à la couverture du coût de la dette :
Il référence un index de coût de financement complet alors que les projets sont avant tout exposés aux taux de swaps. C’est d’autant plus préoccupant que l’index retenu (Iboxx Corporate 10-15 ans) mesure le taux de la dette non sécurisée ou « unsecured », une indexation très réactive aux marchés du crédit et donc très mal corrélée avec les marges bancaires de crédit dans le secteur de l’ENR.

Ce graphique montre qu’à plusieurs reprises depuis début 2021, l’indexation du prix de vente de l’électricité n’aurait pas compensé la variation du coût de la dette. Prenons l’exemple du premier semestre 2022 : Malgré l’effet moyenne trimestrielle du dispositif, on observe qu’après s’être violemment écarté, le spread de l’Iboxx 10-15 y par rapport aux swaps se resserre de 84 points de base alors que dans cette période les marges de crédit augmentent sur les financements d’ENR d’environ 20 bp. Un grand écart qui dépasse 1% par an sur certaines périodes extrêmes. A contrario, d’autres périodes se traduisent par de gros gains pour les projets comme lors des derniers mois de 2022. Rapportées au TRI de l’Equity, les effets de la trop forte réactivité de l’Iboxx 10-15 y Corp sont significatifs. Sources du graphique : Reuters & Markit
A minima, il aurait été moins risqué pour les emprunteurs de sélectionner un indice de crédit plus corrélé aux taux de financement bancaire du secteur, et en particulier un index qui reflète un spread de financement sécurisé puisque les prêteurs disposent de sûretés sur les projets ENR.
Pour figer l’index final qui détermine le prix de vente de l’électricité, le nouveau dispositif CRE propose d’utiliser une moyenne quotidienne de l’index durant un trimestre complet entre 15 mois et 18 mois avant la date de mise en service des installations de production électrique. Ce mécanisme complexifie massivement les processus de fixation des taux avec les prêteurs (ou de mise en place des couvertures). En effet :
Il n’est pas possible d’attendre la date de mise en service pour fixer les taux avec les banques de couverture puisque la référence de marché qui détermine le prix de vente de l’électricité est relevée entre quinze et dix-huit mois avant cette date, un taux qui ne sera plus accessible lors de la mise en service.
Il n’est pas possible non plus de prévoir avec certitude plus de quinze mois à l’avance quelle sera la date réelle de mise en service d’une centrale électrique car il existe toujours un risque plus ou moins important de retard. Le décalage de la date de mise en service change donc le prix de vente de l’électricité sans modifier le coût de la dette figé près d’un an et demi plus tôt.
Enfin, l’index final dans la formule de calcul du prix de vente de l’électricité est basé sur la moyenne des taux quotidiens pendant un trimestre, ce qui impose pour éviter des écarts potentiellement importants de traiter les instruments de couverture avec les banques sur la base d’un taux lui-même moyenné, ce qui n’est pas du tout adapté au marché des instruments de couvertures et ne manquera pas de générer des difficultés ou des coûts ou les deux à la fois.
Ces écarts peuvent se compenser ou se cumuler, ce qui introduit potentiellement des effets de bord très significatifs dans le contexte de forte variabilité des taux longs que nous connaissons.
Notre proposition serait donc d’adapter le dispositif pour les prochains appels d’offres :
En termes de timing : Il faudrait identifier une date unique pour la constatation de l’index final qui favorise le relai sans aléa entre la constatation de l’index final et la mise en place des instruments de couverture ou de pré couverture de la dette. Le mécanisme de fixation de cette date devra éviter les effets d’aubaine et accommoder la diversité des projets couverts par le dispositif.
En termes d’index : Il serait préférable de choisir une indexation sur un taux de swap (comme c’est le cas dans les appels d’offre PPP, ou les appels d’offre ENR au Moyen Orient) et en tout état de cause pas sur un index de crédit non-sécurisé « unsecured » qui ne reflète pas les variations des marges bancaires sur les financements de projet ENR.
Ces évolutions sont faciles à implémenter dans le dispositif actuel et amélioreraient significativement la sécurité financière, contribuant ainsi au succès dans la durée de l’indexation du prix de vente de l’électricité dans le cadre des appels d’offre CRE