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TRANSITION DES IBORS : UN CASSE-TÊTE ET DES SOLUTIONS RADICALEMENT DIFFÉRENTES SELON LES MONNAIES !



Thèmes : Index de taux / Transition / Enjeux financiers


A l'heure de la grande remise à plat des index de taux utilisés dans de nombreuses monnaies il nous semble utile de faire un point d’étape sur les enjeux financiers de ces grandes manœuvres autour des taux « IBOR ».


Petit rappel historique


Le scandale très médiatisé de la manipulation des taux libors, portant essentiellement sur la période 2005-2010, a laissé des traces profondes et durables. La fraude consistait à essayer par divers moyens de fausser le niveau des taux publiés afin pour les acteurs concernés d’en tirer un profit direct ou indirect. Certaines amendes infligées par le régulateur depuis 2012 ont atteint 2,5 milliards de dollars et les sanctions financières ont touché plus d’une dizaine de banques et plusieurs courtiers de premier plan [1].

L’OICV-IOSCO (Organisation Internationale des Commissions de Valeur) et le FSB (Financial Stability Board) ont par la suite recommandé en 2014 de rendre plus robustes les indices ibors [2] et de promouvoir parallèlement des indices quasi sans risques basés sur un taux au jour le jour et sur des transactions réelles. Une nouvelle réglementation sur les benchmarks (BMR) a ainsi vu le jour en 2018 avec pour objectif, à horizon 2020, la mise en place d’indices plus protecteurs des consommateurs et des investisseurs car plus robustes, plus transparents et mieux contrôlés.


Grâce à des groupes de travail et à l’implication des Banques Centrales, de nouveaux indices de taux au jour le jour ont été créés et notamment le SOFR en USD, en 2018 et l’€STR (à ne pas confondre avec ESTER !) en Euro, en 2019.


L’avenir des indices Libor n’est plus garanti au-delà de 2021

Depuis juillet 2017, on sait par ailleurs que l’avenir des indices Libor n’est plus garanti au-delà de 2021. En effet, à partir de 2022, les banques ne seront plus contraintes de participer à la fixation de ces indices controversés. Cette date limite a été réaffirmée par la Banque Centrale et les autorités de tutelle anglaises le 25 mars 2020 alors qu’un délai d’un an supplémentaire avait été évoqué dans plusieurs articles de presse.

En avril 2020, six ans après les premières publications officielles sur la réforme des indices, des progrès certains ont été réalisés en vue de réformer les index mais le plus difficile reste encore à faire: comment assurer la transition des opérations existantes et l’adaptation de tous les contrats, process et mécanismes imbriqués dans l’utilisation des taux IBORs?


Devant l’impréparation des acteurs face à l’échéance de fin 2021, date à laquelleles libors pourraient ne plus être calculés et publiés, les régulateurs s’inquiètent et redoublent d’avertissements [3].


OÙ EN EST-ON EXACTEMENT ?


L’Euribor et les Libors ont suivi des voies très différentes.


L’Euribor


Sur l’Euro, les autorités de tutelle et les banques ont choisi de réformer l’index Euribor de la manière la plus indolore possible pour les utilisateurs de l’index.

L’Euribor dit « Hybride [4] » a d’ores et déjà remplacé l’Euribor d’avant la réforme et presque personne ne s’en est aperçu. L’Euribor Hybride repose sur une méthodologie de fixation des taux très normée consistant à utiliser, autant que possible, des transactions réelles. Le terme « autant que possible » est important puisqu’il est toléré qu’une fraction très significative, parfois jusqu’à 80% des contributions, demeurent des contributions à titre d’expert et ne reposent pas sur des transactions réelles. Cette méthode a été autorisée par la FSMA [5] en juillet 2019 et est maintenant mise en œuvre par l’organisme en charge de sa publication, l’EMMI.

Pour les utilisateurs finaux, l’index s’appelle toujours Euribor, il n’y a aucune action à entreprendre pour utiliser l’index, pas d’amendements aux contrats existants, tout se passe comme avant… et ce «nouvel» Euribor dit hybride est pourtant l’aboutissement de la réforme liée à la réglementation Benchmark.


Fin de l’histoire ?


Tout juste faut-il prévoir, dans les nouveaux contrats, ce qui se passerait si l’Euribor hybride devait être ultérieurement « retoqué », d’où l’importance de revoir ce qui est écrit dans les anciens contrats, et la rédaction de clauses de « fallbacks » dans les nouveaux contrats.


L’Euribor dit « Hybride » a d’ores et déjà remplacé l’Euribor

Dans les nouveaux contrats, ces clauses de substitution restent généralement rédigées de manière assez vague car il n’existe pas véritablement à ce jour de plan B opérationnel sur lequel s’appuyer. Mais sur les produits dérivés, l’ISDA puis la FBF ont publié des protocoles ou addendums qui améliorent la sécurité juridique des contreparties en cas de transformation ou de disparition des indices.


Une chose est certaine : sur l’Euro le remplacement pur et dur de l’Euribor par l’€STR [6], sur le modèle envisagé sur les Libors n’est plus pour l’instant à l’ordre du jour.

Les Libors


Sur les Libors, le modèle envisagé pour remplacer les taux dans un contexte de pré-cessation ou de cessation de la publication telle qu’elle pourrait se produire en 2022 est la substitution du Libor par les taux au jour le jour capitalisés et payés en fin de période.


Ces taux au jour le jour, développés depuis plus ou moins longtemps dans différentes devises, sont le SOFR en USD, le SONIA en GBP, le SARON en CHF et le TONAR en JPY.

Mais cette évolution n’est pas encore totalement certaine, car il reste aujourd’hui de nombreux problèmes à régler liés à cette transition et les consultations de place se succèdent sans toutefois adresser l’exhaustivité des questions qui se posent.


Alors qu’il y a une véritable épée de Damoclès sur les index Libor avec la date butoir du 31 décembre 2021, le dispositif n’est pas finalisé et le marché continue très largement à privilégier le Libor plutôt que les taux au jour le jour capitalisés que ce soit pour les swaps à plus de deux ans ou pour les instruments de dette [7].


Épée de Damoclès sur les index Libor

Sans parler du SOFR en USD qui peine à s’imposer comme une référence liquide sur les marchés dérivés et sur les instruments cash, force est de constater que même sur un index mature comme le SONIA en GBP, les transactions de swaps à plus de deux ans restent très majoritairement indexées sur le Libor GBP [8].


L’étude de Clarus Financial Technology montre en effet qu’en octobre 2019, les transactions à 5 ans indexées SONIA ne progressaient pas par rapport à 2018 et ne représentaient qu’entre 10% et 15% du volume totaldes swaps traités en GBP: le Libor est loin d’être mortsur les maturités longues et les swaps longs indexés SONIA ne décollent pas.


La plus grande difficulté ne réside pourtant pas dans l’adoption de nouveaux indices pour les nouvelles transactions mais dans la migration, pour les transactions existantes, de l’ancien indice vers un nouvel indice.

Cette migration impose d’abord de gérer des flux calculés très différemment puisque le libor est un taux préfixé tandis que les index au jour le jour capitalisés sont des taux postfixés.

Elle impose également de régler la question de l’équilibre économique des transactions avant et après le changement d’indice. La crise financière générée par le Covid-19 qui a vu une très forte augmentation des écarts de taux entre le Libor USD et les taux fixe des swaps contre SOFR de même maturité est venue rappeler que le processus de migration d’une référence vers l’autre est un exercice complexe et risqué. Préserver la valeur économique des contrats à l’occasion de la migration est un exercice complexe sur les swaps de taux, très complexe sur les swaps de devises et potentiellement extrêmement complexe sur des options et les produits structurés avec des données de marché relatives à la volatilité et à la corrélation des sous-jacents.


Sur les obligations et sur les prêts bancaires, les difficultés viennent et viendront aussi de la gestion opérationnelle des transactions (consentement des parties, évolutions des systèmes de gestion des flux, etc.) d’autant que certaines clauses existantes peuvent être très inadaptées. Par exemple, sur de nombreuses obligations à taux variable émises avant 2018, la disparition du Libor impliquerait d’après la documentation juridique d’utiliser ad vitam le niveau du dernier index fixé pour toutes les périodes futures, ce qui reviendrait à transformer une obligation à taux variable en une obligation à taux fixe, sur un niveau totalement déconnecté des méthodes préconisées pour préserver les intérêts économiques des parties.


Le nombre de questions encore ouvertes aujourd’hui pour effectuer une transition ordonnée des Libors vers des taux au jour le jour capitalisés, et ce sur des instruments variés, régis par des contrats de places différents, dans des juridictions légales différentes est loin d’être aboutie tandis que la crise amenée par le Covid-19 a attiré l’attention des banques, des utilisateurs finaux et des avocats vers d’autres sujets aux enjeux plus immédiats.

Et pourtant, il existait des solutions moins complexes et assez satisfaisantes pour se débarrasser des Ibors.


La particularité des index de type Ibor par rapport à des taux dits sans risque de type SONIA ou SOFR est qu’il s’agit de taux qui incluent une composante de risque de crédit et de risque de liquidité, potentiellement très significative en cas de crise financière. C’est exactement ce qui se produit aujourd’hui où le libor USD 3 mois fixe plus de 100 points de base au-dessus du niveau auquel il fixerait en l’absence de stress sur le financement à terme (par exemple à 3 mois) des banques en USD.


Le régulateur reproche par ailleurs aux taux Ibors que, du fait du faible volume sous-jacent des prêts interbancaires sur les différentes maturités, il s’agisse de facto en grande partie d’un taux déclaratif par opposition à un taux traité, ce qui facilite la manipulation des taux.


Passer d’une logique d’un taux préfixé à une logique de taux post-fixé

Ce qui est très complexe à gérer dans une transition rapide et ordonnée d’un libor vers des taux au jour le jour capitalisés et payés en fin de période c’est précisément la double difficulté de préserver la valeur économique entre deux taux radicalement différents et de passer d’une logique d’un taux préfixé à une logique de taux post-fixé.



Parmi les handicaps des taux post-fixés, citons qu’un taux capitalisé, mettant en jeu des dizaines voire des centaines de taux au jour le jour, est plus long à générer en temps de traitement informatique, plus compliqué à calculer et à contrôler, et qu’il doit être d’un point de vue opérationnel payé peu de temps après qu’il est connu. Toutes ces difficultés sont gérables par les banques et la plupart des contreparties financières mais sont difficiles à gérer par des utilisateurs finaux moins sophistiqués, notamment les petits corporates et les sociétés de projet.


Il aurait été plus simple de garder un taux préfixé mais d’utiliser le fixing d’un taux de swap contre l’index au jour le jour en lieu et place d’un taux de dépôt de type Ibor.

Si le marché des swaps court terme est suffisamment actif, un prérequis indispensable à n’importe quelle transition, alors la question du risque de manipulation était réglée.

Cette solution, largement évoquée, a été jugée moins pure que celle du taux de cash un jour post-fixé capitalisé et rejetée par une majorité de répondants aux enquêtes de l’ISDA.


Mais le mieux est l’ennemi du bien et nous nous dirigeons aujourd’hui vers deux logiques totalement différentes sur l’Euribor et les Libors puis que l’Euribor garde des taux préfixés et une dose de déclaratif tandis que les Libors migreraient vers des taux au jour le jour post-fixés, ce qui va introduire une nouvelle dose de complexité pour les opérations« cross currency » et la gestion des opérations dans les systèmes informatiques.

Par ailleurs, malgré les déclarations officielles qui ont à l’évidence pour but de mobiliser les acteurs, on peut raisonnablement douter du réalisme de l’interruption réelle du Libor en 2022 vu le chemin qui reste à parcourir sur le marché des prêts aux particuliers, des prêts bancaires Corporates et des produits dérivés.


Ceci étant dit, pour tous les acteurs exposés, il est crucial d’identifier tous les contrats impactés par ces transitions d’index, de prévoir dans les nouveaux contrats des clauses de substitution qui protègent leurs intérêts avec un rapport de force le moins déséquilibré possible par rapport à leur contreparties bancaires, de contrôler les éventuels transferts de valeur lors des changements d’indices qui seront un jour implémentés, de mettre les systèmes de gestion et d’information qui gèrent les contrats indexés en ordre de marche, de vérifier les impacts comptables et fiscaux liés à d’éventuelles substitutions d’index et d’être finalement conscients des enjeux et bien préparés.


La saga des index est loin d’être terminée.


ESTER peut, bien sûr, vous accompagner sur ces sujets.


[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Libor_scandal [2] Cinq indices de référence ont été déclarés critiques par les autorités de tutelle: Le Libor (USD, GBP, CHF, JPY et EUR), l’Euribor (EUR), le Stibor (SEK) et le Wibor (PLN) ainsi que l’indice Eonia. [3] https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/indices-de-references-critiques-lamf-encourage-les-utilisateurs-francais-preparer-la-transition-vers [4] https://www.emmi-benchmarks.eu/euribor-org/euribor-reform.html [5] Financial Services and Market Authority. [6] L’€STR ou € Short Term Rate est le remplaçant de l’Eonia qui disparaitra totalement fin 2021. [7] Financial Services and Market Authority.La Bank of England est la Banque Centrale la plus impliquée pour faire disparaitre les titres indexés sur le Libor puisque ces titres ne seront progressivement plus éligibles au refinancement de la Banque Centrale anglaise. [8] https://www.clarusft.com/sonia-market-volumes-what-is-going-on/


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