top of page

LE RISQUE DE CHANGE SUR LES ACTIFS RISQUÉS : QUELLE STRATÉGIE ?



Alors que la couverture de change des flux commerciaux est standardisée et très bien maîtrisée, la couverture des actifs nets en devises étrangères est un sujet plus complexe où les situations sont beaucoup plus variées et les pratiques beaucoup plus diversifiées, en particulier lorsque l’évolution de la valeur de ces actifs est incertaine.


S’il est communément admis que la dette devrait, autant que faire se peut, être levée dans la devise de l’actif pour générer une couverture naturelle en diminuant l’exposition en devise (1), les fonds d’investissement, les entreprises, ou les sponsors des financements de projet sont souvent confrontés à la mesure et à la gestion du risque de change sur l’investissement en Equity dans leurs participations, leurs actifs, ou leurs projets en devise étrangère.

L’incertitude récente sur l’évolution du GBP dans le contexte du Brexit par exemple, ou encore l’impact incertain sur l’évolution du dollar de la politique fiscale et budgétaire américaine dans un contexte de sortie du QE et de hausse des taux courts, ainsi que l’exposition croissante des investisseurs européens à des projets en devise étrangère renforcent les questionnements sur la capacité à couvrir les expositions en

devises et sur les bonnes pratiques de couverture de ces risques.


Couvrir c’est réduire l’aléa

Pour un investisseur basé en euros, il peut y avoir une divergence sensible entre les rendements en devise étrangère et les rendements après conversion en euros.

La divergence est déterministe (au premier ordre) si le rendement attendu de l’actif est couvert en change : le rendement de l’actif ramené en euros prend en compte le coût (ou plus rarement le bénéfice) de la couverture.

La divergence est aléatoire et imprévisible lorsque le rendement de l’actif n’est pas couvert en change.

Couvrir, c’est réduire l’aléa. A contrario, ne pas couvrir expose l’investisseur à un rendement très dépendant de l’évolution du cours de change.


Le coût d’une couverture de change est avant tout une question de taux d’intérêts

Le coût d’une couverture de change est déterminé au premier ordre par la différence de taux d’intérêt entre les deux devises. La devise qui porte le taux d’intérêt le plus élevé se déprécie à terme. Lorsque le différentiel de taux d’intérêt entre l’Euro et la devise d’investissement est élevé, se couvrir coûte cher, ce qui reflète le coût de financement plus élevé en devise locale. Pour un investisseur dont la devise de référence est l’Euro, lorsqu’un investissement n’est pas couvert en change, l’investissement est financé en euro au taux d’intérêt de l’euro. Lorsque l’investissement est couvert en change, l’investissement est implicitement financé dans la devise étrangère, au taux d’intérêt de la devise étrangère.

De ce fait, pour un investisseur basé en euros, le coût de la couverture peut être un bénéfice de couverture s’il s’agit de couvrir le risque de change d’un investissement en franc suisse par exemple où les taux d’intérêts sont plus bas qu’en euro. A contrario, couvrir un investissement en pesos mexicain (MXN) ou en roupie indienne (INR) a un coût élevé car les taux d’intérêts dans ces devises sont élevés, beaucoup plus élevés qu’en euro.

On comprend aussi qu’un investisseur dont la devise de référence est le dollar américain aura un coût de couverture inférieur à celui d’un investisseur basé en euro car les taux de marché en USD sont plus élevés que les taux de marché en euro. Pour cet investisseur en USD, couvrir un investissement réalisé en euros permettra même de fixer un taux de change à terme plus favorable que le taux de change au comptant, ce qui facilitera évidemment la décision de couverture. Ceci explique sans doute en partie pourquoi les gros fonds américains couvrent plus systématiquement leurs expositions en devises que les gros fonds européens.

Si le rendement d’un investissement en devise locale n’est pas suffisant pour absorber le coût de la couverture, l’investissement se comparera défavorablement à des investissements en euros. On attendra ainsi d’un investissement en devise exotique à taux d’intérêts élevés, dont le coût de couverture est plus important, de produire un rendement en devise locale plus élevé que pour des investissements en euros.

Il est indispensable, pour comparer la rentabilité des investissements dans différentes devises, de prendre en compte pour chaque investissement le coût de la couverture de change éventuelle, que cette couverture soit mise en œuvre ou pas. Lorsque le projet n’est pas couvert, des stress-tests sur l’impact des variations de change éventuelles devront être réalisés pour vérifier la soutenabilité du projet en cas de choc adverse sur les parités de change.

De la même manière, les stratégies de couverture partielle comme le roll des couvertures à court terme, souvent envisagées pour limiter le coût du report/déport, devront être stress testées à la fois sur des scenarii d’écartement des taux courts, et sur leurs impacts en liquidité lorsqu’il n’est pas certain que la prolongation de la couverture de change sera toujours effectuée à cours historique (2).


Backtesting des stratégies de couverture par achat de change terme

Nous testons ici historiquement l’impact des stratégies de couverture par achat de change à terme sur toute la durée d’un investissement.

Le graphique ci-dessous compare, pour un investisseur basé en Euro, la rentabilité d’un investissement en GBP sur 3 ans selon qu’il est couvert en change ou non couvert. Le rendement attendu de l’actif en devise locale est supposé être de 10 % l’an.


La courbe grise montre la rentabilité de l’investissement après couverture de change, cette courbe est relativement stable dans le temps et oscille entre 7% et 10% : la couverture de change réduit l’aléa.

La courbe bleue montre la rentabilité réalisée de l’investissement sans couverture de change. Cette courbe est beaucoup plus erratique et la rentabilité est une fonction directe du timing de l’investissement et du désinvestissement : c’est une livre sterling « lancée en l’air » qui produit une rentabilité de l’investissement comprise entre -2% et 15%.

Pour un investissement en devise émergente tel le Peso mexicain, le constat est similaire, comme le montre la simulation ci-dessous. Seul le coût de la couverture est plus élevé.

Ainsi, parfois, la stratégie non couverte en change produit un rendement bien supérieur et parfois bien inférieur à une stratégie couverte. Il est impossible de prédire pour l’avenir ce qu’il en sera. Ce qui est certain, c’est que la variabilité liée au change est toujours potentiellement bien plus importante que le coût de la couverture de change, et que seule la couverture permet de stabiliser le rendement et d’obtenir le rendement attendu de l’investissement sans être pollué par le risque de change.


La couverture dans des devises peu liquides

Si les devises des principaux pays développés permettent la couverture à la fois via des instruments fermes (change terme) et optionnels, et sur des horizons relativement longs (supérieurs à 10 ans), ce n’est pas le cas de toutes les devises.

Lorsque la devise est non-convertible (3), la couverture doit passer par les Non Deliverable Forwards. La devise étrangère n’est pas échangée physiquement, c’est un paiement dans la devise convertible qui compense les parties contre l’évolution du cours de change entre deux dates. La liquidité est en général plus faible que pour les monnaies convertibles mais la couverture par NDF fonctionne très bien.

Certaines devises sont par contre très peu liquides et seulement à court terme comme beaucoup de monnaies africaines (par exemple le metical, la monnaie du Mozambique) ou certaines monnaies d’Amérique latine.

Dans ces devises, tout investissement doit, à défaut de couverture, faire l’objet de stress tests par exemple en extrapolant un historique long de parités (au moins 15 ans) et en stress testant cet historique pour évaluer l’impact de scénarios dégradés. Une couverture à court terme, même chère, réduira fortement l’aléa lorsque la monnaie est très volatile.

Dans ces devises exotiques, la connaissance du marché et des acteurs capables de fournir une couverture a beaucoup de valeur.


La couverture des expositions incertaines est plus difficile

Lorsque l’exposition au change est incertaine, il est plus complexe de définir la stratégie de couverture adaptée.


L’incertitude peut porter sur le montant de l’exposition (dividendes ou prix de revente d’un actif), sur le calendrier de cette exposition, ou même sur l’existence de l’exposition, par exemple lorsque l’acquisition n’est pas encore certaine.

L’incertitude sur le calendrier peut être gérée par une cession anticipée de la couverture ou par une prorogation de la couverture au-delà du terme initial. Dans ce second cas, la prorogation de la couverture peut néanmoins occasionner des appels de trésorerie intermédiaire indésirables (4).

L’incertitude sur le montant de l’assiette, ou sur l’existence même de l’exposition est plus complexe à gérer car le mode de couverture le plus adapté aux flux certains n’est pas identique à celui des flux incertains.

Ainsi, s’il est possible d’utiliser des instruments fermes ou optionnels pour gérer l’exposition certaine, il est généralement considéré que les instruments fermes sont moins adaptés à la gestion d’une exposition incertaine, en ceci qu’ils font courir au porteur d’Equity un risque souvent illimité dans le cas où l’exposition ne se réalise pas pour le montant attendu : la couverture devient elle-même la source de l’exposition de change. A contrario, les instruments optionnels sont plus souvent utilisés pour couvrir les expositions incertaines, comme par exemple :

- Des options de change. Mais elles ne sont pas liquides dans toutes les devises et leur coût peut être élevé.

- Du change terme contingent. Il s’agit d’une opération de couverture qui disparait sans frais si une acquisition ou un investissement ne voit pas le jour (5).

Pour éviter de payer la prime des instruments optionnels, certains acteurs préfèrent utiliser des instruments fermes dont ils réajusteront l’assiette au fur et à mesure de la levée de l’incertitude. Cette stratégie peut occasionner des coûts de réajustements importants, ainsi que des entrées ou sorties de trésorerie significatives. Il est donc important lors de la mise en place de ce type de stratégie, de bien stress tester la stratégie et ses impacts potentiels.

Finalement, que l’on choisisse d’utiliser uniquement des instruments fermes, ou une combinaison entre instruments fermes et instruments optionnels, il convient quoi qu’il en soit, à intervalle régulier, de réévaluer le scénario central pour déterminer quelle part de l’exposition en devise est certaine (ou hautement probable) et quelle est l’amplitude de l’incertitude autour de ce scénario central.

La capacité à traiter dépend de la qualité de crédit et des mécanismes de garantie


Comme pour toute solution de couverture via des instruments financiers à terme, la capacité à traiter dépend de la qualité de crédit de l’entité réalisant la couverture. En effet, une transaction de type change terme expose chaque partie au défaut potentiel de l’autre partie.

Lorsque la qualité de crédit de l’entité n’est pas considérée suffisante par la contrepartie bancaire (6), celle-ci demande la mise en œuvre de mécanismes de garanties.

Le premier mécanisme envisageable est la mise en œuvre d’une garantie Corporate à première demande accordée par les sponsors du projet ou leurs actionnaires.

Le deuxième mécanisme envisageable consiste en la mise en place d’un collatéral, i.e. un montant de cash déposé dans l’entreprise pour sécuriser l’exposition potentielle. Certaines techniques permettent d’éviter les réajustements fréquents du collatéral.

A noter que certaines entités souhaitant mettre en place une couverture sont obligées règlementairement, du fait de la réglementation EMIR, de mettre en place un collatéral quotidien pour traiter un instrument financier à terme. La question de l’entité devant mettre en place la couverture ou de l’instrument adapté doit alors être traitée soigneusement.

Finalement, lorsque l’entreprise ne souhaite ni la mise en place d’un collatéral, ni la mise en place d’une garantie quelconque, et lorsqu’elle n’est pas suffisamment dotée en fonds propres pour pouvoir traiter un swap ou un change terme, les options à prime unique payée d’avance ou les transactions contingentes sans primes à payer d’avance peuvent parfois apporter une réponse satisfaisante.

Chacune de ces solutions a des avantages et des inconvénients, des risques et des coûts, et aucune n’est à rejeter a priori. Seule une analyse ad hoc de l’ensemble de la situation permettra de choisir la meilleure solution pour passer outre l’absence de lignes bancaires suffisantes.

ESTER est à vos côtés pour analyser chaque situation et pour déterminer dans chaque cas la stratégie de couverture la plus adaptée.

1 - Natural hedging en anglais.

2 - Les banques doivent généralement approuver en comité des risques tout report d’une couverture de change à cours historique. L’autorisation peut être refusée.

3 - Par exemple au Brésil, en Inde, en Chine

4 - Lorsque la prorogation à cours historique n’est pas possible, le résultat de la couverture a un impact en trésorerie qui doit pouvoir être supporté en liquidité.

5 - Une banque n’accepte de traiter une couverture contingente que si la probabilité de réalisation est élevée. Si la transaction est réalisée, la couverture a un coût supérieur.

6 - Par exemple dans le cas d’un SPV en création qui souhaite pouvoir couvrir une exposition future avant d’être suffisamment doté en termes d’actifs pouvant servir de garantie à la transaction.



13 vues
bottom of page